Du lait, mais pour qui ???

Publié le par kikcha

Colin CampbellChina Study


Colin Campbell est probablement le mieux connu pour son travail en tant que directeur du China-Oxford-Cornell Diet and Health Project (plus communément appelé « China Study »), qui est une étude sur vingt ans conduite dans diverses régions de Chine au sujet des relations entre nutrition et santé. (On pourra trouver diverses informations en tapant « china study » dans la zone de recherche du site de l’université Cornell, http://www.cornell.edu/.)
Il a également participé à la mise en place de l’Institut américain du cancer (American Institute for cancer research) et de la Fondation mondiale pour l’étude du cancer (World Cancer Research Fund).

À la suite de son travail dans la « China Study » (l’étude la plus complète jamais conduite sur l’alimentation et les maladies), il a été nommé au bureau des directeurs d’une agence gouvernementale chinoise qui s’occupe de mettre au point des programmes de santé et d’éducation alimentaires.

Il a écrit en collaboration avec son fils un livre basé sur les résultats de l’étude chinoise, montrant comment ses diverses expériences ont façonné sa transition entre un passé imprégné d’une culture fermière et laitière et ses opinions présentes sur l’influence de l’alimentation sur les maladies (T. Colin Campbell, The China Study, Benbella Books, 1st BenBella Books Ed, janvier 2005).

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Préface
T. Colin Campbell,
Professeur émérite de biochimie nutritionnelle
Université Cornell, Ithaca, NY
Avril 2006


Peu de sujets en recherche médicale suscitent autant de polémiques que le rôle du lait de vache et de ses produits dérivés dans notre régime alimentaire. Certains même s’étonnent que nous allions jusqu’à envisager des effets néfastes sur la santé. Pour eux, le lait de vache est l’aliment naturel par excellence. Il renforce les os et les dents et constitue une bonne source de calcium et de protéines. Il évoque aussi la vie à la campagne où de paisibles vaches laitières meuglent et paissent dans de verts pâturages. Je le sais, car j’ai grandi dans une ferme laitière. Je participais à la traite des vaches et me promenais dans ces verts pâturages, je mixais le grain et rentrais le foin pour l’hiver. Je buvais du lait, beaucoup de lait, et nous fabriquions souvent nos propres crèmes glacées et notre propre beurre.

Au début de ma carrière de chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology) et à Virginia Tech, mon travail a consisté à promouvoir la santé par une consommation accrue de viande, de lait et d’œufs, que je considérais comme des « protéines animales de qualité ». C’était une conséquence naturelle de mon éducation à la ferme et je croyais dur comme fer que le régime alimentaire américain était le meilleur du monde.

Un peu plus tard, j’ai travaillé à Virginia Tech en tant que coordinateur d’un projet aux Philippines sur la malnutrition des enfants. L’objectif premier de ce projet était de garantir un maximum de protéines dans le régime alimentaire des enfants.

Mais j’ai alors pu observer des faits plutôt étranges. Les enfants dont le régime alimentaire était le plus riche en protéines, notamment animales, étaient les plus disposés à développer un cancer du foie. J’ai alors commencé à consulter d’autres rapports du monde entier pouvant faire écho à mes découvertes aux Philippines.

Affirmer que les protéines animales étaient néfastes pour la santé était alors une véritable hérésie. J’ai tout de même lancé une étude approfondie sur le lien entre l’alimentation et les causes de cancer.

Ce projet de recherche aboutit à un partenariat d’une vingtaine d’années entre l’université de Cornell, l’université d’Oxford et l’Académie chinoise de médecine préventive et donna lieu à une étude sur les pathologies et les habitudes de vie en Chine rurale et à Taïwan. Communément intitulée « The China Study », ce projet finit par établir plus de 8 000 relations statistiquement significatives entre facteurs alimentaires et pathologies.

Une étude du gouvernement chinois sur les taux de mortalité par cancer dans 2 400 cantons chinois indiquant des concentrations élevées de cancer dans certains cantons et des concentrations beaucoup plus faibles dans d’autres était à l’origine de notre projet. Nous avons alors lancé une deuxième étude, beaucoup plus complète, sur le régime alimentaire et les habitudes de vie pouvant expliquer ces disparités. Pour ma part, je me suis plus particulièrement intéressé à l’hypothèse plus générale selon laquelle les aliments d’origine animale et ceux d’origine végétale, caractérisés par leur profil nutritionnel, avaient des effets opposés sur les pathologies chroniques dites « occidentales », telles que le cancer.

Les résultats de cette vaste étude, mis en relation avec nos précédentes recherches et avec d’autres études, me persuadèrent que le régime alimentaire le plus bénéfique pour la santé devait être composé d’une grande variété d’aliments végétaux, et devait être également pauvre en graisses, en sel, en sucres et en aliments transformés. Par ailleurs, dans la Chine rurale, une consommation, même faible, d’aliments d’origine animale (tels que produits laitiers et viande) était liée à des conditions biologiques favorisant l’apparition de pathologies chroniques généralement rencontrées dans les pays industriels occidentaux.

Il nous fallait ensuite établir l’ampleur de ces effets. Avec mon fils Tom, nous nous sommes penchés sur d’autres travaux de recherche. Nous avons d’abord découvert que les publications dans ce domaine étaient innombrables. De plus, ces études attribuaient à un régime composé de végétaux beaucoup plus de bénéfices pour la santé que ne l’indiquaient nos propres recherches et montraient que ce régime réduisait les risques d’autres cancers, de maladies cardio-vasculaires, de diabètes (types I et II), de maladies auto-immunes, d’ostéoporose, de maladies psycho-neurologiques (comme les troubles de l’attention, les dépressions cliniques, la maladie d’Alzheimer, les troubles cognitifs), les maladies des yeux, des reins, de la peau et l’obésité.

Ce qu’il faut savoir, c’est que les aliments d’origine animale ont des caractéristiques nutritionnelles très différentes de celles des aliments d’origine végétale. Ce sont ces caractéristiques, une fois intégrées au niveau métabolique, qui sont majoritairement responsables des effets antagonistes des aliments végétaux et animaux sur la santé. Interviennent également dans ces effets les innombrables produits chimiques ajoutés, et ces effets antagonistes se retrouvent quel que soit le niveau de consommation de ces aliments.

Bien évidemment, les caractéristiques nutritionnelles des produits laitiers et leurs risques pathologiques sont semblables à ceux des autres aliments d’origine animale. Mais le lait de vache et ses produits dérivés sont peut-être encore plus néfastes pour la santé que les autres aliments d’origine animale.

Malheureusement, la littérature sur les caractéristiques et les méfaits des produits laitiers semble avoir fait l’objet d’une mise à l’écart du public encore plus marquée que pour les autres aliments d’origine animale. Par exemple, il y a 40 ou 60 ans, la recherche avait déjà montré que les protéines du lait de vache (caséine et lactalbumine) augmentaient de façon notable le taux de cholestérol dans le sang et la formation de plaques d’athérosclérose. Plus récemment, beaucoup plus de preuves sur les méfaits du lait de vache ont été apportées. La plupart sont présentées de manière très compétente dans cet excellent rapport dont on saura apprécier l’actualité, l’ampleur et la remarquable cohérence.

Enfin, je voudrais attirer l’attention sur deux autres points. Premièrement, il est probable que les méfaits des produits laitiers observés dans de nombreuses études soient sous-estimés, car ils ont été observés chez des individus pour lesquels les effets nutritionnels, comparables à ceux du lait, ont déjà été maximisés par d’autres aliments d’origine animale. Deuxièmement, l’imprécision des mesures des facteurs de risque et des résultats atténue mathématiquement les effets réels.

Il ne s’agit pas de croire que les méfaits du lait soient indiscutablement prouvés indépendamment de tout autre facteur, pas plus d’ailleurs que les effets du tabagisme sur le cancer du poumon et les maladies cardio-vasculaires soient prouvés indépendamment de tout autre facteur. Il faut plutôt comprendre que la quantité et le poids des preuves scientifiques, recevables sur le plan biologique, constituent la fiabilité de ces preuves. À partir de ces critères, il ne fait aucun doute que ces preuves suffisent au moins à mettre en cause les affirmations trompeuses avancées par l’industrie laitière, son lobby et ses défenseurs.

Je suis tout à fait conscient que ces informations sont pour de nombreuses personnes profondément troublantes, comme elles l’ont été pour moi. Mais il est de notre devoir de faire connaître ces recherches et, si nécessaire, de promouvoir un débat empreint d’honnêteté, de transparence et, dans la mesure du possible, exempt de toute arrière-pensée d’ordre commercial.

Traduction : Florence Piquemal

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